Aux origines du Chardonnay : un cépage chez lui en terre jurassienne

Le Jura n’a jamais cherché à rivaliser avec la Bourgogne. Pourtant, c’est sur ces terres de marnes bigarrées, de calcaires vifs, de pentes incisées et de microclimats pointus que le Chardonnay, cépage « universel », trouve une expression d’une pureté inimitable. Non, le Chardonnay jurassien ne copie rien : il écoute la roche, s’imprègne des brumes matinales et grapille l’énergie des pentes argileuses.

Le Chardonnay couvre aujourd’hui près de 46 % de l’encépagement jurassien, ce qui en fait le cépage blanc majoritaire dans l’appellation Côtes du Jura et dans la plupart des crus, devant le savagnin (source : Comité Interprofessionnel des Vins du Jura). Mais ce chardonnay-là, né sur le plateau, ne se confond pas avec ses cousins bourguignons : il y a dans sa minéralité tout un monde de nuances, plus racées, plus tendues, souvent traversées de notes salines, de fruits blancs et d’agrumes.

Quels sont les terroirs d’élite pour le Chardonnay jurassien ?

Du Nord au Sud du vignoble jurassien, certains sols et coteaux se sont illustrés génération après génération par la finesse, la droiture et la complexité de leurs chardonnays. Voici les terroirs qui font parler d’eux, entre reconnaissance des palais avertis et médailles en concours.

Château-Chalon : plus que le vin jaune

Le nom de Château-Chalon évoque d’abord la légende du vin jaune, mais ses vignes accueillent aussi des chardonnays de haut rang. Les buttes calcaires et marnes grises du Lias confèrent ici au cépage une tension magnétique, rarement démentie par les années. Les chardonnays « ouillés » (élevés à voile fermé, sans oxydation), élaborés parfois par quelques vignerons audacieux en dehors du cahier des charges du Vin Jaune, glanent régulièrement des éloges pour leur pureté et leur énergie tranchante.

  • Sols : Marnes grises du Lias, éboulis calcaires, pentes bien exposées.
  • Style du vin : Chardonnays tendus, saline, notes de pierre à fusil, agrumes et pommes granny, finale longue et légèrement fumée.
  • Domaine emblématique : Jean-Michel Petit (Domaine de la Renardière).

Montigny-lès-Arsures et la couronne d’Arbois

Si Arbois reste la capitale historique des vins du Jura, son secret réside dans la mosaïque de microclimats de ses villages alentours. À Montigny-lès-Arsures, patrie du Trousseau, le Chardonnay s’impose en révélateur du sous-sol. Les marnes du Trias, charriant beaucoup de magnésium et de fer, apportent droiture et densité.

  • Montigny-lès-Arsures : Chardonnays complexes, alliant tension minérale et souplesse, parfois des touches de noisette et de pierre mouillée.
  • Les Bruyères : Parcelle réputée située sur un plateau de marnes rouges et calcaires : on y trouve des vins ciselés, presque cristallins, récompensés par la RVF (La Revue du vin de France).
  • Domaines notables : André et Mireille Tissot, Lucien Aviet & Fils.

La « Côte de Feule » à Pupillin : un monopole d’émotion

Pupillin, reconnu pour le ploussard, cache un trésor de chardonnays sur la fameuse Côte de Feule. Ici, le sol de marnes irisées, riches en minéraux, rend les chardonnays presque jaillissants de vigueur.

  • Sols : Marnes irisées (mélange de marnes bleues, vertes, grises, rouges).
  • Style : Chardonnays droits, marqués par la tension acide, notes d’agrumes, fleurs blanches, potentiel de garde immense.
  • Producteurs phares : Domaine de la Borde (Julien Mareschal), Domaine Renaud Bruyère & Adeline Houillon.

La Reculée de Baume-les-Messieurs : la fresque géologique

Baume-les-Messieurs, célèbre pour sa reculée spectaculaire, offre des conditions idéales au Chardonnay, avec ses pentes bien exposées et ses sols riches en fossiles. Les vignerons y exploitent pleinement la diversité pédologique.

  • Sols : Marnes du Bajocien et calcaires fins.
  • Style : Chardonnays élégants, floraux, finale sur l’amande et la pierre à fusil.
  • Référence : Domaine Baud Génération 9.

Poligny et le sud du vignoble : les charmes du Trias

Autour de Poligny et jusqu’à Voiteur, le Chardonnay s’enracine dans des sols de marnes bigarrées et de calcaires du Trias, zones où la fraîcheur nocturne et les brumes matinales jouent un rôle déterminant.

  • Sols : Marnes bigarrées, calcaire, argiles du Trias.
  • Style : Chardonnays plus amples, parfois exotiques (notes de mangue, ananas), toujours remarquablement équilibrés par l’acidité.
  • Domaines de référence : Domaine de la Pinte, Domaine Désiré Petit.

Zoom sur quelques crus et cuvées emblématiques

Certains crus jurassiens de Chardonnay créent l’événement, millésime après millésime. Ils font la fierté de leurs vignerons autant que la curiosité (voire l’enthousiasme) des grands amateurs.

  • Arbois Pupillin "Les Voisines", Domaine de la Borde : Vieilles vignes sur Côte de Feule, complexité aromatique autour de l’acacia et du silex.
  • Côtes du Jura "En Barberon", Domaine Ganevat : Issu d’un sol très calcaire, tissu minéral tendu, légendaire capacité de garde.
  • Château-Chalon ouillé, Domaine Macle : Chardonnay vinifié hors oxydation, tension d’école, grand vin blanc d’altitude.

Un terroir, une main, un style : l’humilité du vigneron jurassien

Sous le vocable « Chardonnay du Jura », il n’y a jamais deux vins identiques. Ici, plus que partout en France ou presque, le terroir se montre capricieux, presqu’entêté. Il dicte ses lois et ne pardonne ni la précipitation ni l’absence d’écoute. La plupart des bons vignerons travaillent en bio, parfois en biodynamie (près de 25% des surfaces viticoles en bio ou conversion selon Interbio Franche-Comté), décidés à laisser au sol la première voix.

La typicité de chaque cuvée dépend étroitement de :

  • La nature exacte du sol (marnes du Lias, Trias, Bajocien...)
  • L’altitude (de 200 à 400 m selon les lieux, avec parfois 80 mètres d’écart sur une parcelle !)
  • L’exposition (pentes Sud et Est très recherchées pour maturité et équilibre acidité/sucre)
  • Le style de vinification : ouillé (remplissage des fûts pour éviter l’oxydation) ou non ouillé, passage en fût plus ou moins marqué, etc.
  • L’âge des vignes (certaines parcelles dépassent les 80 ans sur Arbois et Poligny)

Pourquoi cette réputation ? Quelques chiffres et faits marquants

  • Le Chardonnay représente près de 900 hectares dans le Jura, pour environ 2000 ha de vignes en tout (source : CIVJ).
  • On dénombre plus de 300 vignerons produisant des chardonnays, dont une trentaine régulièrement médaillés.
  • Le Jura expédie plus de 40% de sa production à l’export, avec le Chardonnay en tête pour les blancs « ouillés ».
  • Les meilleures cuvées rivalisent régulièrement avec les crus bourguignons lors de dégustations à l’aveugle (voir revue Bettane+Desseauve, n° juin 2021).
  • Le solde minéral du Jura (plus de 14 types de marnes différentes, l’un des records en France) explique une diversité rare dans les profils des vins.

Éclairages et horizons à explorer

Les terroirs jurassiens du Chardonnay, c’est un langage de la patience et de la précision. Aucun autre vignoble ne propose un éventail aussi riche de sols marneux combinés à l’altitude et à la diversité climatique. Goûter un Chardonnay du Jura, c’est lire dans les rides de la Terre et deviner, mieux que sur une carte, où la vigne a élu domicile.

Face au monde, le Jura pose sa singularité. Ici, l’avenir s’écrit à hauteur de chlorophylle et de roche, dans la transmission des gestes et dans l’abnégation d’hommes et de femmes obstinés. Il reste encore, dans les caves de Pupillin, de Poligny ou de Baume, des flacons qui patientent, témoins silencieux des noces du chardonnay et de la terre jurassienne. Ils attendent ceux qui savent écouter.

Sources principales : Comité Interprofessionnel des Vins du Jura (jura-vins.com), La Revue du Vin de France, Bettane+Desseauve, Interbio Franche-Comté, Observatoire Viticole Français.

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